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3 avril 2020 5 03 /04 /avril /2020 14:24

Non seulement Hervé Féron pense comme moi, mais en plus il écrit bien, le salaud !

Y a rien à jeter !

 

Bonjour, je suis en colère.

Nous sommes aujourd’hui le lundi 30 mars 2020, depuis plusieurs semaines une terrible pandémie s’est abattue sur le monde et sur la France. Partout, il est évident que les personnes les plus exposées, sont celles qui sont les plus fragiles de par leur âge, leur état de santé, mais aussi de conditions socio-économiques les plus précaires. Vous savez, ceux qui, confinés, n’ont pas de jardin pour prendre l’air, ceux dont les enfants dorment à plusieurs par chambre, ceux qui ne gagnaient déjà pas grand chose et qui ne verront aucune aide venir, ceux qui font partie des 13 millions de français qui n’ont pas internet, pas d’ordinateur, pas d’imprimante, qui ne sont pas informés, qui ne peuvent pas imprimer d’attestation pour sortir, qui ne peuvent pas se connecter pour obtenir les devoirs à faire faire aux enfants à la maison...

Il est notoire que les premiers qu’on abandonne sont toujours les plus vulnérables.

Je suis le maire d’une commune de 9163 habitants en Meurthe et Moselle : Tomblaine. Je sais qu’il n’est pas politiquement correct de dire la vérité haut et fort, en particulier en cette période où la solidarité doit être le ciment d’une certaine « union sacrée »...

Mais voilà, je ne sais pas aujourd’hui si je pourrai témoigner demain et surtout je suis en colère. La colère quand elle est terriblement fondée, comme c’est ici le cas, mérite d’être écrite, pour être raisonnée.

J’ai été en colère, hier lorsque j’ai entendu le ministre de la santé, au bout de quinze jours de confinement, donner ses consignes à la télévision, pour inciter, « dans les EHPAD, à faire porter les repas dans les chambres des

personnes âgées. » Mais qu’est-ce qu’il croit ? Qu’on l’a attendu pour prendre nos responsabilités ?

Il vient de naître celui-là ? Il faudrait qu’il vienne un peu voir ce qu’il se passe sur le terrain !

Je suis en colère après ces gouvernements successifs qui depuis longtemps ont démantelé les hôpitaux publics, par la suppression massive de postes et de moyens, et abandonné l’accessibilité aux soins pour tous dans notre pays. Ces gouvernements qui ont créé de toutes pièces l’impuissance d’Etat d’aujourd’hui.

Je suis en colère quand je vois des élus, barons locaux faire des opérations de communication dans les médias quand ils n’ont eu de cesse de participer eux-mêmes à cette casse du service public.

Je suis en colère après ce gouvernement qui n’a rien anticipé, qui n’a rien prévu, alors qu’on a connaissance de ce risque depuis des mois et qu’il aurait fallu commander des masques de protection, des quantités de solution hydroalcoolique et des matériels d’assistance à respiration en nombre. En colère face à l’indécence de ce gouvernement qui a préféré ne pas prendre le risque de dépenser pour protéger la population, quand par ailleurs il a su donner des millions de cadeaux aux plus nantis en leur aménageant un Impôt Sur la Fortune sur mesure...

Je suis en colère face à l’irresponsabilité de ce gouvernement qui a tardé, en connaissance de cause, à mettre en place le confinement des populations, pour tenter coûte que coûte de permettre la mise en œuvre des élections municipales !

Je suis en colère après ce gouvernement et ce Président qui ont su organiser, pendant des mois, la répression violente contre les infirmières manifestantes et contre les pompiers en grève, les frappant, les bousculant, les gazant et qui aujourd’hui viennent les encenser, les remercier et leur promettre de misérables aménagements de salaire, comme pour s’approprier les valeurs de cette France courageuse, honorable et solidaire, qui donne quotidiennement leçons aux gouvernants défaillants.

Je suis en colère après ce Gouvernement engagé depuis des mois avec violence dans la casse de notre système de protection sociale et de retraites et après ce Président qui, à l’occasion de cette terrible crise, vient nous faire un numéro de communication à la télévision, pour louer ce même système de protection à la Française...

Je suis en colère après ces gouvernants qui ont créé les Grandes Régions, dans une approche libérale, pour ne pas dire irresponsablement mercantile, éloignant encore plus et fragilisant les services dûs au public.

Je suis en colère contre ces gouvernements, qui depuis 12 ans n’ont jamais cessé de diminuer les dotations aux Communes, pour les appauvrir et utiliser leurs moyens confisqués, pour couvrir une partie du déficit de l’Etat.

En colère contre ces Présidents de Métropole, gros barons régionaux qui ont vampirisé les domaines de compétence des maires pour mieux assoir leur pouvoir sans partage. En colère, parce que ces maires, à qui on a enlevé tous les moyens de faire vivre des politiques publiques sur leur territoire, les Présidents et ministres se rappellent soudain qu’ils existent et qu’ils sont indispensables, chaque fois qu’il y a une situation de crise. Souvenez-vous au lendemain des attentats du Bataclan, puis la révolte des gilets jaunes, et aujourd’hui le coronavirus ! Qui assume le service de proximité, la cohésion sociale, les secours d’urgence ??? Les maires, parce qu’ils sont sur le terrain, comme les professionnels de santé.

Je suis en colère, parce que depuis des années, l’incompétence d’Etat par les choix contraires aux valeurs de la République, a conduit toute une partie de la population vieillissante à ne pas avoir les moyens de se payer une place en EPAHD. Alors les maires, qui n’en ont pas compétence, ont créé des foyers résidences pour des personnes soit disant autonomes. Et de plus en plus, hors périodes de crises, pour libérer des lits, voire pour faire du chiffre, les hôpitaux libèrent ces personnes âgées pour les placer en « hospitalisation à domicile » dans ces résidences non médicalisées. Ainsi, il y a un transfert de charges financières et de responsabilités énorme sur le dos des maires et des employés municipaux...

Je suis en colère parce que dans ma ville, il y a un Foyer-Résidence de ce type, pour personnes âgées autonomes... Depuis le début de la crise, nos personnels municipaux sont mobilisés, parfois même sur des métiers qui ne sont pas les leurs, ils sont admirables, ils sont héroïques.

Je suis en colère, parce que depuis des semaines, nous attendons de l’aide de la part du Conseil Départemental et de l’ARS (Agence Régionale de Santé). Rien, aucune aide, aucun soutien matériel, aucun soutien logistique, aucun renfort humain. Ils sont absents de nos territoires. Alors quand je vois dans la presse leurs responsables venir donner des leçons et expliquer, en mentant, ce qu’ils disent qu’ils font... je suis en colère. Savez-vous que depuis plus d’un mois, nous avons demandé à l’ARS par téléphone, par mail, par sms, des masques de protection pour nos personnels municipaux qui travaillent jour et nuit pour protéger ces 56 personnes âgées. L’ARS n'a même pas daigné nous répondre !!! Quel mépris ! Quelle médiocrité !

Et ce qui me met le plus en colère, c’est quand le Conseil Départemental, comme l’ARS, nous adressent avec insistance des documents à remplir pour nous donner des consignes (d’ailleurs parfois stupides et contradictoires, je conserve les écrits...) et pour contrôler ce que nous mettons en œuvre sur le terrain ! Voilà qu’ils nous demandent des comptes !!!

On croit rêver. Désolé, on n’a pas le temps de vous répondre, on est en train de porter secours à une dame de 98 ans !!!

Enfin, je suis en colère après ce sale con et je vous demande de ne pas excuser ma trivialité, qui ce matin est venu de Nancy, parce qu’il avait repéré qu’à Tomblaine il y a un Foyer Résidence de personnes âgées, en état de grande vulnérabilité, parce que abandonné des pouvoirs publics. Un monsieur, aide à domicile de métier, était venu pour assister une des personnes âgées de ce Foyer, dans le cadre de son métier. Il était venu en vélo. Le sale con lui a volé son vélo, quand l’aide à domicile travaillait au péril de sa vie.

Je suis en colère aussi parce que le sale con a été vu et que la police a été appelée, mais n’a pas répondu alors qu’il était encore temps de récupérer le vélo. Lorsque dix minutes plus tard on a rappelé la police, il a été répondu que la police ne pouvait pas se déplacer à cause de l’épidémie et qu’il fallait que l’aide à domicile se déplace pour déposer une main courante au commissariat !!! Là encore, on croit rêver !

Il est notoire que les premiers qu’on abandonne sont toujours les plus vulnérables.

Ce qui me motive, c’est quand je constate le formidable élan de solidarité des innombrables anonymes, qui s’est déclaré spontanément dans nos Communes, dans nos quartiers, dans nos rues, c’est le courage de tous les personnels soignants et accompagnants, c’est la générosité manifestée, c’est un élan d’amour spontané et collectif exprimé en tapant sur des gamelles à 20h chaque soir pour dire merci à ceux qui risquent leur peau, merci à ceux qui prennent soin des autres rien qu’en étant prudents, et crier au monde entier « merci d’être vivants » !

Je hais les égoïstes et les imbéciles comme ce voleur de vélo. Et je vous en veux à vous les puissants, les nantis qui avez failli à votre mission, parce que vous êtes médiocres et que seuls les résultats des prochaines élections vous intéressent. Je ne suis pas de votre monde, nous ne sommes pas du même monde. Il est temps qu’on vous le fasse entendre.

J’ai écrit ma colère, parce que j’émets le vœu qu’après tout cela, des milliers, des millions de français heureusement rescapés engorgeront vos putains de tribunaux pour porter plainte contre vous pour « abandon de la population et en particulier des plus vulnérables ».

Et j’espère que vous serez condamnés, au moins aux yeux de l’histoire.

Alors je lance un appel sur les réseaux sociaux, partagez ce message, partagez ma colère, partagez...

Vive la République.

Hervé Féron

Maire de Tomblaine.

 

 


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19 novembre 2014 3 19 /11 /novembre /2014 21:59

Audiard disait " Heureux les fêlés, ils laissent passer la lumière".  J'ignore tout des fêlures de Jean-Pierre Colleu, mais il en a sûrement  car la lumière passe !

Il m'a fait l'amitié de m'autoriser à publier des extraits de  son recueil " Une manière d'extase"  (édité par La Part Commune).

Issus d'inlassables marches en Bretagne, ces  textes me font penser à une empreinte de patte d'oiseau dans du granit .

Dans le fracas des instants, à la fenêtre où se renverse le monde, nous devrons dire comment deux êtres qui s'aiment tiennent le ciel en haleine, l'au-delà du ciel, et dépossèdent le temps de leurs corps ensoleillés.

Et quand se dérobe la possibilité de sourire de peu de choses, comme une aube incertaine ou une enfance mal famée ; quand s'échappe la constance, puis la mémoire d'un visage, il nous reste encore toute la terre à traverser.

                                                 ******

                                       Cimetière du Nord


Toutes ces fleurs fraîches

sur la tombe

une petite forêt bavarde

 

                                               ******

                                          Parc des Bois

(Un matin.Ciel couvert. Je traverse un petit bois de pins et de bouleaux)



Craignant d'écraser quelque chose

je lève soudainement un pied

C'est un rayon de soleil

 

                                                 ******

                                         Moulin du Boël

Ciel gris bleu d'un début d'automne. Depuis le haut de la falaise - où je me suis assis sur un affleurement de ce beau schiste pourpre -, je regarde l'eau immobile de la Vilaine.



Dans son reflet

un cormoran pêche

des idées de poisson


Petite mouette

fumée blanche

des premiers froids


                                                 ******

 

Et j'aime que soit mêlées à sa poésie ces merveilleuses " fautes d'orthographe" :

 

 

Longeant le Léguer, de Lannion à Trébeurden

Contre le vent

s'arment les pins

paralithiques

 

Voilà, vous avez compris : j'aime beaucoup  ce qu'écrit Jean-Pierre Colleu !. J'espère vous avoir donné envie de le découvrir.

 

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8 mars 2014 6 08 /03 /mars /2014 20:54

Alex est  tout jeune.

Alex est d'une modestie invraisemblable : il  ne voit pas pourquoi j'ai envie de publier  ce qu'il écrit.... Il voulait même que je ne cite que ses initiales ! Mais comme je ne me vois pas  vous parler d'A.V, j'ai pris la liberté de divulguer son prénom....

Les poèmes d'Alex... comment dire ? C'est le mélange d'une forme absolument rigoureuse et de sujets décalés, pleins d'une ironie, d'une dérision qui leur donne un ton inimitable... Inutile de préciser que j'adore !

Fondu dans la flopée, fourbu, flapi, traînant
Ma carcasse d'intrus en de longs promenoirs,
J'ai beaucoup navigué dans des paradis noirs
Où mystère et fureur voguaient d'un seul tenant.

C'est fini, désormais ! Je fais de beaux voyages,
La boussole haletante et le cœur trépignant,
J'écrase dans mes poings bavures et carnages.

Les dragons de jadis dodelinent au vent,
Crachouillent quelques fleurs en un rot émouvant :
Ne me réveillez pas, je veux plier bagage.

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10 janvier 2014 5 10 /01 /janvier /2014 00:55

Je m’appelle M., je travaille dans un journal où des marques connues nous achètent des espaces publicitaires. C’est une petite structure, on bosse tous comme des galériens du papier. Je lis à longueur de journée les dossiers de presse, les argumentaires de vente de gens importants qui ne savent plus quoi écrire sur leurs produits de merde assemblés par les doigts agiles de petits enfants transparents. Les niaquoués, les pakis, les bamboulas, ils sont loin, on n’en a rien à foutre de savoir comment c’est fabriqué. Par contre, le poil de renard argenté de Sibérie qui réfléchit la lumière, le Thorny Devil qui rafraîchit les muscles surchauffés, le coton intelligent, le tissu aux fibres divinatoires, la grande foutaise de l’écologie ça, ça fait vendre.

Il y a des fois où j’en ai vraiment marre de tout ce cirque. Et pas que de ça, vous pensez bien. Les pastilles qui font rire mais pas jouir pourraient sans doute faire leur petit effet mais je picole trop et l’impulsion se retourne sûrement comme la peau d’un kaki bien mûr.
Parfois, j’ai envie d’accrocher une pancarte « non » sur la porte de mon bureau et de sauter du septième étage dans l’air frais et pollué de ce quartier neuf collé à l’autoroute qui ne dort jamais. Les bras en croix, j’irais m’écraser tout en bas, sur les scooters miniatures. Et de l’architecture inavouée de la terre sortiraient des centaines de fleurs rouges entre les failles du goudron ; au pied de cet immeuble loin des proportions parfaites de l’Homme.

Avant nous étions à Montreuil-sous-Bois, au beau milieu des jardins biscornus, entre des cloisons de placo toutes nues adossées aux murs à pêches, juste à côté d’un camp de roms. La vue était dégagée, les oiseaux chantaient haut et fort, en été le camion de glaces passait à 16H00 et on connaissait le visage émacié de la pauvreté, des hommes aux pupilles sombres.
Lorsque nous avons emménagé il y a un an dans ce bâtiment récent à la commune laideur, il était déjà occupé par de jeunes cadres en chemises cintrées et pompes pointues. Le kaiser nous a offert à chacun une plante pour égayer nos nouveaux bureaux. Deux très grosses plantes pour les deux cadres dirigeants et des tous petits ficus pour les autres. Les grosses plantes aux longs bras de céphalopodes ont décidé de crever, seul mon ficus a grandi. Il est devenu gigantesque, il gratte le plafond et chatouille les pieds des parois indiscrètes. Je refuse de le tailler, j’ai pour objectif de me laisser coloniser par la végétation, de disparaître dans la saillie des arabesques délicates, de faire partie des minuscules.

- JP : Il est vraiment bien le pape François. J'ai entendu à la télé qu’il aidait les pauvres en Argentine. C’est bien en Argentine hein, c’est ça ? Du coup, ça me donne envie de faire baptiser mes enfants.
- M : Et si il avait été congolais le pape, t’aurais naturalisé tes gosses ?
- JP : Mais non, de toute façon c’est pas possible un pape noir. Ca n’arrivera jamais.

Des petites croix en or 9 carats viennent danser sous mes yeux et se posent délicatement sur mon arbre, absorbées par le vert émeraude. Beaucoup de choses ont été mangées comme ça.

C’est bientôt Noël, les grelots grelottent, le kaiser va nous envoyer comme tous les ans des boîtes de Lebkuchen à la cannelle, roses pour les filles, bleues pour les garçons. Les Saints Nicolas poussent comme des amanites tue-mouches dans tous les centres commerciaux, à croire que le mystère de la téléportation a enfin été découvert. Les gosses aux yeux écarquillés serrent leurs petites fesses sur les genoux du père noël coca-cola qui pu la sueur à cause du costume synthétique. Terrorisés, ils chialent les grandes eaux de Versailles et morvent contre leur doudoune déjà constellées de miettes de gâteaux.

- JP : J’aimerais bien qu’on fasse un Noël pour mes enfants. Vous inquiétez pas, c’est moi qui achèterai des cadeaux et ils viendraient les chercher ici, au bureau. L. tu ferais le père Noël, ça pourrait être sympa non ?
- M : Mais on est tes collègues, pas tes amis. Tu nous fais chier avec tes idées à la con.
- JP : Je comprends pas pourquoi tu réagis comme ça, dans toutes les entreprises ça se fait.
- M : Dans les grosses boites oui, ils font un arbre de Noël avec un sapin, des boules, un spectacle et des cadeaux pour tous les enfants du personnel. Là on est 3 pelés, 1 tondu, c’est ridicule.
- JP : Mais c’est pour leur montrer comment ça se passe au travail, pour qu’ils voient les amis de papa.
- M : Je te l’ai déjà dit, je suis pas ton amie et en plus j’aime pas les gosses. Mais si tu m’autorises, je veux bien leur en toucher deux mots moi du monde merveilleux du travail.

Des petits cadeaux diaprés virevoltent dans le vert minéral et font gazouiller l’arbre expiatoire. Il a encore grossi. Parfois je m’allonge sur la moquette et je vois tout plein de petits objets en phase de purification dans les ramures. Je deviens de plus en plus petite et le végétal complexe va bientôt se transformer en châtaignier des cent chevaux.

Je ne sais pas si j’aime ces périodes de fêtes. Je traine dans le ventre mou du Carrefour parce qu’il faut bien se nourrir et je regarde toutes ces choses rangées stratégiquement dans les rayons. Elles ont l’air de vouloir m’engloutir. Les allées rutilantes m’offrent tout ce dont je n’ai pas besoin, tout ce que je ne saurais jamais choisir. D’ailleurs, je n’ai jamais su choisir.
Sans doute par amour, par peur du désamour, des adultes remplissent des caddys entiers de jouets colorés et bruyants. Quelqu’un crie sur un enfant. L’enfant crie à son tour et pleure.
Je ne crains ni la mer ni le vent et je sens pourtant que je vais tomber. Les gens ne me voient pas, marchent sur moi comme on foule le raisin miellé en septembre. Les chariots roulent sur ma carcasse et commencent à dessiner des lignes boiteuses, gluantes et bien rouges partout sur le sol. Elles courent comme des racines du rayon jouets aux longs frigos de la boucherie, passant par l’espace fruits et légumes où j'entends chanter les oiseaux dans les hauts parleurs, les laitages, les gâteaux, les caisses, le bruit des caisses, le rouge sur le carrelage, le rouge sur le bitume. Abreuver le squelette de la terre, abreuver le corps des arbres.
Un érable rouge.

M. n’existe plus, elle a trouvé son arbre, son arbre à con ; elle peut enfin sentir l’odeur de ses démons porter le toit du ciel.




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12 octobre 2012 5 12 /10 /octobre /2012 14:37

Géhèm, c'est une trouvaille, de celles qu'on fait, un soir déprimant où on erre de blog tiédasse en blog nullasse et où, alors qu'on s'apprêtait à sombrer, un rire iconoclaste vient vous revivifier.

C'est un dessin insolent, une prose gouailleuse qui gratte,  là, juste . On se régale, on y va chercher sa dose ...

Et puis, soudain, on découvre ça.

C'était assorti d'un dessin pas piqué des coccinelles, mais qui est en rétention provisoire...

 

Oh sorry pour la couleur, je n'avais pas pu prévisualiser !!!

Un nuage de lait dans ma tasse de thé,
Dehors il fait encore nuit.
Le vent qui gonfle le rideau
Ne m’apprend rien du jour qui vient.
Et le soleil de tes cheveux sur l’oreiller.
La marmelade blonde sur un toast doré,
À la radio c’est hier qui s’éternise.
Le bruit familier de la rue
M’apprend ce que je sais déjà du jour qui vient.
Et sous le drap la courbe de ta hanche.
Une gorgée de thé brûlant, tu te réveilles
Et tu veux boire dans ma tasse
Comme un oiseau.
Le jour qui vient peut bien attendre.
Et par-dessus le drap ton sourire et tes bras.
Qu’un écureuil grignote mes tartines,
Le thé tiédit sous l’abat-jour.
Le vent regonfle le rideau, le jour se lève,
Le soleil monte de mes reins.
Et au-dessus de moi ton cri dressé.
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25 mars 2012 7 25 /03 /mars /2012 22:42

Voici un texte qui  - je ne sais pourquoi-  me rappelle mon enfance...

Pourtant, son auteur est un très jeune homme.

 

Ismaël et son grand-père avaient déjà marché une heure depuis que le soleil s’était soulevé. Rien n’était réchauffé cependant, et la glace restait sur l’herbe comme la cendre sur les braises. 
- Pourquoi le ciel est bleu ? Pourquoi n’est-il pas rouge, ou jaune clair ?
- Il est rouge avant la nuit et jaune avant l’orage, mais tu es trop occupé à le vouloir autrement pour l’aimer tel qu’il est.

On marchait depuis une heure et Ismaël n’avait toujours pas ouvert la bouche, lassé du bruit du vent, Ismaël commença ses questions:
- Qu’est-ce que tu préfères sur Rondo grand-père?
- Les collines
- Tu dis les collines parce que l’on traverse les collines. En plaine tu préfèrerais les plaines.
- Et ma réponse ne te satisferait jamais. Je préfère mon inconstance.

On marchait depuis une heure et Ismaël n’avait toujours pas ouvert la bouche, lassé du bruit du vent, Ismaël commença ses questions:
- Qu’est-ce que tu préfères sur Rondo grand-père ?
- Les collines, elles sont rondes comme les fesses des femmes.
- Moi je préfère les montagnes
- Je les aime aussi. Là-bas au moins tu gardes ton souffle pour la marche.

Samuel et son grand-père sortaient d’une forêt très sombre, Ismaël parlait en faisant de petits bonds de moineau.
- Mon endroit préféré sur Rondo est la montagne, parce qu’on y trouve des ours-singes terrifiants ! 
- Des ours-singes ?!
- Ils sont forts comme l’ours et malins comme le singe. Ils sont terrifiants !
- Tu aimes les montagnes à cause de la terreur?
- Non je les aime à cause du courage, il faut ignorer la peur pour braver les montagnes.
- Si ton ours vit en montagne c’est qu’il est facile de s’y cacher. L’ours est caché dans la montagne comme un enfant sous sa couette. Je suis prêt à parier que ta bête féroce a peur des collines, moi je n’en ai pas peur, je suis donc plus brave que l‘ours-singe et au moins aussi brave que celui qui le brave.
- Toi tu as peur des montagnes.
- Parfois, mais j’y vais tout de même. Lui ne vient jamais ici. Je reste le plus courageux.

Ismaël suivait le grand-père les yeux gonflés comme des flaques d‘eau. À l’inverse des flaques pourtant, ses yeux étaient secs, parce qu’ils revenaient du sommeil, et que les rêves se nourrissent des pleurs.
Grand-père pourquoi se lever si tôt le matin ?
- N’as-tu pas envie de te recoucher ?
- Oh si !
- Alors demain, nous nous lèverons plus tôt encore. Plus tôt levé, plus tôt couché.
Ismaël n’aimait pas ce genre de plaisanteries qui étaient des plaisanteries de vieilles personnes, mais le grand-père reprit gravement:
- Pour aimer le sommeil il faut le fuir, un jour de vie pour une heure de rêve, ainsi vont les choses.

Lors qu’Ismaël et son grand-père s’usent les pieds sur un chemin de montagne dont le sommet s’élève au dessus des nuages, Ismaël demande:
- Grand-père as-tu déjà été amoureux?
- Oui
- A-t-on déjà été amoureux de toi?
- Oui
- Etait-ce le même jour?
- Non

Le grand-père et Ismaël traversent un cours d’eau en équilibre sur un vieux rondin de bois quand le grand-père glisse et tombe. L’eau est profonde mais le courant est faible, il attrape une branche. Une heure plus tard, comme on quitte le cours d’eau, Ismaël demande:
- Grand-père, qu’est-ce qui tue les hommes?
- Le destin. Ou le hasard peut-être
- Tu l’ignores?
- Oui. 
- Alors la prochaine fois regarde où tu mets les pieds.

Ismaël et grand-père gravissaient une montagne immense et effrayante, ils s’étaient perdus dans la brume.
- Est-ce que le monde change, grand-père?
- Oui
- Est-ce que l’homme devient meilleur?
- Qu’est-ce que ça veut dire?
- Est-ce qu’il change en bien?
- S’il fallait aller en haut de la montagne pour faire un enfant, seuls les bons grimpeurs auraient une descendance. Les hommes vont mieux là où ils vont. Mais va savoir où ils vont.

À la naissance du printemps, un nuage d’oiseaux traverse le ciel devant Ismaël
- Grand-père est-ce que les hommes cesseront un jour d’avoir les idées floues ? Pourra-t-on un jour voir tous les oiseaux d’un nuée à la fois ou toutes les gouttes d’une vague? Chaque jour lance mille vagues sur le rivage, chaque matin naissent mille hommes, et leur cœur bat cent millions de fois. Il faut laisser le temps sauvage à fourrure de brouillard. 
- Je n’ai rien compris.
- Moi non plus...

 

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23 novembre 2011 3 23 /11 /novembre /2011 19:39

  Pour  cause d'édition, je suis contente d'avoir le regret d'enlever  ce texte de Gaëlle qui était le premier  à m'avoir fait flasher sur son écriture...

 

 

 

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..............................................................Guettez les parutions chez Buchet Chastel !
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9 septembre 2011 5 09 /09 /septembre /2011 22:34

 

 

Au cours de mes pérégrinations webesques (ou webiques, comme vous préférez), je suis tombée sur un individu qui marie carpes et lapins tous les samedis.  Forcément, ça m'a intéressée. Le blog s'appelle  Digitus impudicus. Ça ne pouvait me laisser indifférente. 

Et j'ai trouvé des textes  insolites, philosophiques, ironiques, poétiques, à boire, à manger... on peut carrément y passer ses vacances !

 

 

 Il devait y avoir une forme de secret
capable d'expliquer, de rendre moins inepte
la plupart des actions des hommes dans la cité
comme un grand engrenage au fabuleux concept...

  Enfin je crois, sinon tout est trop ridicule
le chemin tortueux absurde et fonctionnel
commencé au matin, fini au crépuscule,
aurait moins de portée qu'un but sacrificiel.

  Les jours nourris de vent de soleil et de pluie
de chômage et de baise, égrénés dans nos vies
me font l'effet précis d'une série télé

  Qu'on regarde sans la voir, pour sitôt l'oublier.
Comment font tous ces gens habités de morose
pour attendre la mort comme seule métamorphose?

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18 avril 2011 1 18 /04 /avril /2011 21:42

 

Parfois, au hasard d'un site d'écriture, il arrive qu'on rencontre un auteur. Pas quelqu'un qui écrit, non, non, un auteur.
Dont les qualités de style émergent tellement du niveau moyen qu'on se dit : voilà, c'est ça un écrivain. Pas besoin de thèmes scabreux, de tournures de phrases alambiquées, de mots extravagants, de "trucs pour faire genre". Il suffit de savoir jouer avec la subtilité d'une langue simple, riche, souple, précise... Il suffit... d'avoir du talent !

 

 

Récemment, dans je ne sais plus quel village de France ou d’ailleurs, la représentation explicite sur la façade d’une église du sexe des anges a créé une nouvelle polémique, pétition publique à l’appui, opposant les tenants d’une vision pudique et chaste des angelots aux adeptes d’une incarnation moins symbolique et plus charnelle de ces chérubins ailés. La querelle n’aurait peut-être pas suscité tant de ferveur de part et d’autre si lesdits chérubins n’avaient pas été si généreusement pourvus, sinon par la nature, du moins par l’artiste, qui les a dotés (je le soupçonne d’humeur facétieuse, ce peintre…) d’une anatomie particulièrement avantageuse, terriblement adulte et détaillée, à la pilosité conséquente, loin des sexes roses, innocents et frais que Michel-Ange dut pourtant recouvrir sur les fresques de la chapelle Sixtine, plaçant çà et là un nuage ou un voile, voire une main (quelle ironie quand on y pense…) afin de préserver l’Église de toute question embarrassante sur le toujours mystérieux sexe des anges.


Dans un autre registre, cette question se pose également concernant certains mots dont on ne sait à quel sexe, pardon, à quel genre ils appartiennent. Le terme change mais l’interrogation reste la même : fille ou garçon ? Féminin ou masculin ? Vocables étranges, à l’aura souvent aussi mystérieuse que nos cupidons bibliques dont l’effeuillage nous laisse parfois totalement abasourdis quand la révélation nous est faite de leur identité première… Certes, j’exagère sans doute un peu, mais force est de constater tout de même que le suspense demeure pour certains mots comme il en est de certaines créatures de la nuit : ils ne se laissent pas déflorer si facilement qu’on l’aurait cru tout d’abord. Nous avons tous dans un coin de notre tête une liste de ces mots dont nous ne savons trop à quel sein les vouer, buste viril ou poitrine généreuse, ces « antre », « antidote », « aparté » et autres « effluves » dont nous avons parfois bien du mal à déterminer s’il nous faudra honorer leur petit personnel, déterminants et adjectifs, d’un « e » féminin et coquet ou les laisser à leur état naturel de brutes sans grâce… Ils sont à nos vies d’adultes aguerris et blasés ce que fut le mot « avion » dans notre enfance de cour d’école, quand il nous semblait qu’une telle beauté capable de s’élancer dans les airs et de peupler nos rêves d’aviateurs en herbe ne pouvait être qu’une fille insaisissable et magnifique dont la seule évocation béate nous laissait les yeux extatiques et le rouge aux joues…


Et que dire alors de ceux qui changent de sexe selon qu’ils sont seuls ou plusieurs ? Avouez que le cas n’est pas banal et mérite qu’on s’y arrête tant leur état d’hermaphrodites ouvre des perspectives délicieusement érotiques au bien prude et timoré amateur de mots que je suis finalement, pourquoi ne pas le reconnaître ?...


Hum… je me rends compte à votre froncement de sourcils (ne niez pas, je vous vois) que vous ne partagez ni ma nostalgie ni mes plaisirs somme toute bien innocents. Vous, vous savez exactement à quel genre appartiennent les mots et comment les utiliser au mieux. Je vous félicite sincèrement d’une telle connaissance et de l’efficacité millimétrée que cela procure sans nul doute à vos conversations ou vos écrits. Mais je crains cependant qu’il ne vous manque toujours ce petit quelque chose qu’offre parfois l’usage illicite d’un terme, ce petit goût de liberté, cette fenêtre ouverte sur le rêve, ce petit clin d’œil polisson fait aux bonnes mœurs littéraires ; sans gravité, sans incidence sur la marche du monde, c’est vrai, mais tellement plaisant à dire ou à entendre, tellement savoureux à déguster en bouche quand le plaisir est autant dans l’énoncé que dans l’infraction volontaire. Car oui, je le reconnais volontiers, je simule souvent l’ignorance pour le plaisir de travestir les mots et de leur offrir un costume d’apparat qu’ils n’ont guère l’occasion de porter en public.


Peut-être est-ce parce qu’ils ne sont pour moi qu’images. Je n’ai jamais pu les considérer comme des concepts, au grand dam de mon professeur de philo qui m’y encourageait pourtant de toute la force de ses argumentaires assénés régulièrement, avec une constance proche de l’acharnement. « Un jour, martelait-il doctement, vous ne penserez plus par association d’images mais par association d’idées, et vous verrez alors ce que je veux vous faire comprendre… ». Je n’ai jamais compris. Je n’ai jamais vu ce qu’il me serinait sans renoncer, mais je vois les mots. Ils sont à mes yeux des personnages, les lettres qui les composent sont leurs vêtements, une phrase est une famille, un paragraphe une réunion dominicale, un chapitre une assemblée, un livre, une armée redoutable ou un peuple pacifique selon les sonorités qui s’en dégagent ou l’agencement qui les dispose. Vous m’objecterez que le sens doit primer et sans doute opinerai-je du chef, par lassitude ou par lâcheté ou encore parce qu’il me faut être adulte aussi parfois, mais au fond de moi subsistera cette certitude que les mots ont un langage à eux et qu’ils me parlent, indépendamment du message que leur auteur souhaite transmettre.


Et certains n’ont même pas besoin de parler. Leur seule évocation suffit à susciter en moi des sentiments très forts. Hors de question par exemple que je consente un jour à appeler ma prochaine fille Charlotte ou que j’en fréquente une, de près ou de loin. J’ai connu une Charlotte si pénible et si détestable qu’elle a flétri ce mot à vie, me condamnant à fuir toute femme, si charmante ou séduisante qu’elle puisse sembler de prime abord, quand bien même elle n’aurait d’autre défaut que de porter ce prénom honni. J’ai d’ailleurs cessé toute relation, même lointaine, avec une cousine germaine affublée de ce triste patronyme (oui, je sais, le terme est mal choisi, mais il illustre parfaitement mon propos et cette liberté que je revendique, rabat-joie que vous êtes !). J’aurais éventuellement pu, par simple piété filiale, surmonter mes réticences mais le fait qu’elle épouse un Maxime (Maxime et Charlotte, une telle association de malfaiteurs a de quoi faire frémir !) a suffi à verrouiller mon diagnostic : i-rré-cu-pé-ra-ble. Oh, ne prenez pas cette mine condescendante qui oscille entre étonnement et consternation, je suis bien sûr que vous avez vous aussi dans les replis de votre âme sombre et torturée un prénom connu de vous seul dont la simple mention vous emplit de rage ou de terreur. Et si tel n’est pas le cas, alors je ne peux m’empêcher de penser que vous n’avez pas dû avoir une vie bien palpitante…


Mais on discute, on discute, et je m’aperçois que je me suis éloigné de mes préoccupations initiales, à savoir le genre attribué de façon arbitraire aux mots (certains vous diront que cette attribution n’a rien d’arbitraire bien sûr mais ces gens-là n’ont aucune d’imagination). Le genre, ou la sonorité parfois. Ainsi de Francis Cabrel qui avouait avoir dû dans ses jeunes années professionnelles se plier à l’exigence de sa maison de disque qui tenait à une prononciation classique du mot « rose » dans la chanson Petite Marie, véritable crève-cœur pour le chanteur qui s’était incliné en ayant l’impression de trahir famille et terroir, abandonnant le « o » ouvert cher aux méridionaux au profit d’un « rause » atone et sans saveur, mais supposé plus fédérateur… Dès que le succès le lui a permis, l’artiste s’est empressé de réenregistrer son titre en prononçant avec une jubilation intense (mais intérieure, la jubilation, il s’agit de Cabrel quand même…) ses roses avec le « o » chantant de folle ou d’école (je n’ai en revanche aucune information sur la raison qui l’a poussé à sacrifier sa moustache…). La mésaventure phonique de cet homme discret en a fait en quelque sorte mon frère virtuel, tant son acte de résistance, même tardif, a trouvé sa résonance dans un combat que je menais moi-même depuis longtemps contre ces immuables règles établies de la sacro-sainte langue française.


Pour être tout à fait précis, la contestation qui m’anime vient en effet de plus loin, elle couve en moi depuis l’enfance…


Je dois avoir douze ou treize ans, j’ai devant moi la rédaction que mon professeur de français m’a rendue ce matin avec un gentil sourire. Élève exigeant, je ne me contente pas de la note ni de l’appréciation, toutes deux flatteuses, je scrute les observations glissées çà et là dans la marge à l’encre rouge ; mes yeux s’arrêtent sur un adjectif entouré auquel se rapporte la mention « F.A. » : faute d’accord, comment est-ce possible ? Je relis la phrase pour déceler l’origine de l’erreur : « Elle avait de profondes cernes sous les yeux ». Et je ne comprends pas pourquoi le féminin de « profondes » m’est refusé d’une façon aussi péremptoire. Je pense d’abord, avec l’arrogance de la jeunesse (c’est ce genre d’indices qui me fait croire que je ne vieillis décidément pas beaucoup…), que le prof, fatigué par la pile de copies à corriger, a fait une erreur bien compréhensible et, sûr de moi, je m’approche de son bureau à la fin du cours pour lui signaler son étourderie avec un petit sourire indulgent (ce n’est après tout qu’un homme). Mais tandis qu’il m’écoute patiemment, je vois ses lèvres esquisser ce même sourire indulgent que j’arborais il y a encore quelques secondes, agrémenté peut-être – mais je n’en jurerais pas – d’un soupçon de malice, avant de m’assurer que si, « cerne » est bien un nom masculin, et que non, il n’a pas fait d’erreur. Devant mon air surpris, et sans doute incrédule, il m’indique, avec un sens de l’humour tout personnel (que j’apprécie modérément), la direction de la bibliothèque où « l’élève brillant et consciencieux » (sic) que je suis trouvera dans un dictionnaire la confirmation de la précision qu’il me donne mais à laquelle je ne crois manifestement pas. Le bougre va même jusqu’à me proposer de me dessiner le plan qui me mènera jusqu’à cet endroit mystérieux trop souvent méconnu des élèves…


J’ai toujours eu le don de refuser des vérités qui ne me convenaient pas. À la même période, j’ai ainsi pu par exemple soutenir avec une sincérité totale, au mépris de tous les arguments que pouvait m’opposer ma contradictrice, lors d’une joute littéraire organisée par ce même professeur, que non, la Gervaise de l’Assommoir n’avait jamais sombré dans l’alcool. Il m’était tout simplement impossible d’admettre cette réalité. Ma Gervaise à moi ne pouvait pas faire ça. Et quand, à court d’objections, mon adversaire s’est livrée à l’exercice toujours périlleux de lire à la classe entière un extrait démontrant le bien-fondé de ses assertions, j’ai pris un malin plaisir à dénigrer son élocution, malgré les rappels à l’ordre répétés de notre prof, provoquant l’hilarité générale par mon imitation caricaturale de sa diction et de ses poses. J’ai reçu un avertissement et deux heures de colle, mais j’ai échappé au verdict final, à la révélation définitive d’une vérité trop blessante pour que je puisse l’intégrer. De même, le cheval qui s’enfonce inexorablement dans les mines labyrinthiques du Germinal de Zola ne meurt pas, non, non, je suis bien convaincu qu’il a trouvé, de façon inespérée certes mais qu’importe, une brèche dans la roche, une galerie oubliée depuis longtemps qui l’aura ramené à la surface de la terre, aveugle sans doute mais libre et vivant. Si je ferme les yeux, je peux encore entendre son souffle haché où se mêlent à la fois la frayeur et le soulagement, et sentir sa peau luisante de sueur frissonner sous la caresse d’un soleil retrouvé, doux et apaisant. La préservation de notre innocence mérite bien quelques entorses à une réalité parfaitement insoutenable…


Les cernes ne peuvent en aucun cas être un nom masculin, n’en déplaise aux immortels schtroumpfs verts. Elles m’ont accompagné toute mon enfance. Elles ont orné la beauté triste de ma mère plus que n’aurait su faire un bijou. Mes souvenirs sont remplis de son regard ombré, hypnotique et distant, qui nous effleurait sans nous voir et se perdait invariablement dans quelque motif languissant d’une tapisserie aux couleurs maladives. Sur les nombreuses photographies familiales prises à cette époque par l’un ou l’autre de mes frères aînés, tous deux convaincus de leur avenir dans cet art, on ne retient que cela, au milieu des gâteaux d’anniversaire, des sourires forcés, des poses faussement désinvoltes ou des yeux rendus trop brillants par le flash, l’alcool ou une certaine euphorie désespérée, on ne voit que ce regard cerné qui lui, ne semble plus voir personne déjà… comme tourné sur un monde intérieur dont aucun de nous n’avait la clé.


Je me souviens de la réponse (ou plutôt de la non-réponse) que je lui fis, un jour où elle s’étonnait qu’un de mes amis proches ne vienne plus à la maison :

- Ça fait longtemps qu’on n’a pas vu Jérôme. Comment ça se fait ? Vous vous êtes disputés ?

Je secouai la tête sans pouvoir répondre, saisi par le nouvel intérêt qu’elle manifestait pour ma vie sociale et inquiet de la réaction qu’un mot malheureux de ma part pourrait entraîner. Intriguée par mon silence, elle me regarda. Non comme elle le faisait si souvent, avec cette indifférence presque hautaine, si douloureuse, non, elle me dévisagea vraiment cette fois, et je vis une lueur éclairer ses yeux.

- Oh… c’est à cause de moi, c’est ça ?

Je restai muet, incapable de prononcer un seul mot, le cœur sur le point de se désagréger et tenaillé par une pressante envie, aussi brutale qu’inopportune, de soulager ma vessie.

- Je lui fais peur, n’est-ce pas…

Ce n’était pas vraiment une question mais, bizarrement, je n’en fus pas rassuré.

- Je sais que je leur fais peur, à tous… C’est drôle, moi qui ai si peur de tout, tout le temps…

Ça n’avait rien d’amusant. Voilà la réflexion idiote qui me vint à l’esprit à cet instant précis ; je me le reproche encore, moins cependant que le terrible silence qui accueillit sa question suivante, à peine audible tant elle l’avait murmurée :

- À toi aussi, je fais peur ?...

Je ne sus quoi répondre, tétanisé par l’enjeu que faisaient peser ses paroles sur celle que j’allais, que je devais moi-même prononcer. J’étais pétrifié. J’ouvris la bouche, autant pour revivifier mes poumons au bord de l’asphyxie que pour tenter d’articuler ce simple et unique mot qui suffirait, croyais-je naïvement, à la libérer de l’onde glacée qui l’emprisonnait. La situation me semblait justifier le mensonge que je m’apprêtais à faire. Mais rien n’y fit, accablé par une responsabilité qui me dépassait, je restai planté devant elle comme une méduse échouée agonisant au soleil, les mains moites, les lèvres sèches, le souffle court, sans trouver le courage de prononcer le mot salvateur qui aurait allégé son angoisse, si lourde et si proche que j’aurais pu la toucher des doigts rien qu’en allongeant mes bras raidis par la tension. J’avais douze ans et j’aurais tellement voulu un instant, juste un instant, être assez grand et fort pour la protéger de cette peur immense à laquelle je ne comprenais rien. Mais je n’avais que douze ans et je n’ai rien su dire. Je me suis mis à pleurer en silence, anéanti, humilié par la conscience aiguë de mon inutilité, sans pouvoir m’arrêter ni m’enfuir ; je suis resté là de longues minutes, immobile, misérable, sans parvenir à contenir ces fleuves de larmes qui coulaient sur mes joues et brouillaient ma vue.


Assise face à moi, ma mère n’a rien su de tout cela. Elle était de nouveau repartie ailleurs, dans des mondes où nous n’existions pas. J’avais disparu de ses pensées aussi soudainement que j’y étais entré. Ses yeux avaient repris leur impressionnante fixité - qui me fascinait et m’horrifiait tout à la fois - accentuée par deux cernes profondes qui dessinaient des arabesques inachevées sur son visage froissé…


Mon correcteur d’orthographe si performant pourra toujours souligner mes adjectifs désaccordés, les Immortels somnolents continueront à édicter les bonnes règles de la grammaire et de l’orthographe françaises et mon vieux professeur s’attachera encore sans doute à les inculquer avec une bonhomie désabusée à quelques générations d’élèves plus arrogants et turbulents que nous ne l’étions. Au fond de moi, malgré cette nonchalance un peu hautaine ou cet humour bavard que j’affecte négligemment en société pour masquer ma peur grandissante, je suis toujours ce garçon de douze ans qui pleure devant sa mère emmurée. Alors oui, je conserverai encore et toujours comme chèrement acquise, tel un trésor arraché de l’oubli, cette féminité au mot « cernes » qui m’attache à cette petite fille blessée, ma maman, fragile et désemparée, indifférente à tout ce qui n’était pas sa souffrance. Voilà tout ce qu’il me reste d’elle désormais, deux larmes de soie mauve qui soulignaient la beauté frissonnante de son regard égaré et lointain…

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1 février 2011 2 01 /02 /février /2011 21:52

4035723110_1998bce837.jpgC’est un matin d’eaux claires
Et les virgas de l’ombre mangées par les ruisseaux s’étirent sous les monts

Un orangé de laudes caresse les essarts, que des hommes hirsutes jardinent en maugréant.

Une cloche au matin, résonnantes vallées, le jappement des chiens

Des fumées chandelières aux cheminées de forges, un immobile été
Les fragrances du coke, petit bassin houiller, confins de Margeride
Le chemin de Marsanges, les camions de Lebrat
L’étoupe du travail jointoyant la misère.

C’est un matin d’eaux claires où nagent les farios que d’anciens ouvriers capturent sous les roches
Ils cheminent affairés sous chape de silence, en se hélant parfois aux détours des sentiers
Une simple journée qui s’en revient encore, d’amples années d’usines bercées par les sirènes.

Les fournées de pain blanc parfument de levure les ruelles étroites
Et les chats s’en retournent de leurs pas imbriqués
Danseuses fatiguées.

Et puis viendra l’azur, la chape de Juillet, le parfum des légumes alignés sur l’étal

Des femmes en fichus, sous leur vies monotones viendront un peu plus tard.
Historiettes infimes, allant à l’avenant picorées de tristesses …

La farine des jours recouvre les horloges d’une gare aux aguets, institution notoire dispendieuse de rêves
La cime des forêts flamboie sur les adrets, les volets que l’on ouvre…

Un cristal de silence précède la torpeur



C’est un matin d’eaux claires, encombré de massifs que les hommes trépanent.



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 Bricoleuse de mots, déboulonneuse de socles, dévisseuse de certitudes, j'ai envie d'un monde  où le rire libre lézarderait les murs. Juste pour la beauté des lézardes.
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